BELFORT (TERRITOIRE DE)

BELFORT (TERRITOIRE DE)
BELFORT (TERRITOIRE DE)

Le Territoire de Belfort est une création fortuite consécutive au traité de paix franco-allemand de Francfort-sur-le-Main signé en 1871. Comme d’autres départements au cadre administratif quelque peu artificiel par rapport à la délimitation des anciennes provinces ou à la réalité vécue des «pays», cette portion d’espace n’est pas demeurée longtemps sans s’affirmer face à son environnement. Ce micropérimètre issu de l’Alsace a d’abord continué à se conforter auprès de sa source avant de participer à la croissance de son milieu d’accueil, puis de jouer, par un effet de choc en retour, un rôle interrégional affirmé. À présent, il contribue à la mutation générale du Haut-Rhin méridional, de la Franche-Comté septentrionale et du pôle bâlois.

Genèse d’une personnalité politico-administrative

La nature même de ce territoire issu d’un règlement de comptes ainsi que sa vitalité et ses problèmes témoignent depuis fort longtemps de sa position particulière autour de la Porte d’Alsace. Les liens entre ce que l’on est conduit à appeler le pays de Montbéliard et l’Alsace méridionale sont difficiles à établir à l’origine. L’individualisation, au XIIe siècle, de Montbéliard par rapport à Ferrette (Sundgau, Alsace) entraîne leur évolution divergente. Mais, à la fin du Moyen Âge, Montbéliard est placé sous la protection de l’Empire face aux menées occidentales: avec Belfort qui permet de gagner Langres par le nord, cette ville favorise le trafic sur la vieille route romaine de Lyon au Rhin, avec une bifurcation en direction de Bâle et une autre vers Colmar-Strasbourg. La double installation des Wurtemberg à Montbéliard et à Riquewihr renforce les relations entre les deux régions. Au XVIe siècle, la maison d’Autriche, qui règne à la fois sur la Franche-Comté et l’Alsace (Vorlande ), accentue le rapprochement. Mais on demeure prudent, il n’est pas question d’unifier les deux voisins. À la fin du XVIe siècle, certains seigneurs et villes d’Alsace interdisent même les mariages entre les jeunes immigrés francophones et les filles du pays. L’osmose s’effectue pourtant progressivement pour aboutir, à la faveur du patriotisme cultivé durant l’annexion prussienne, à une sorte d’union mythique.

La réalité économique et les transformations inhérentes à l’avènement de l’ère industrielle ont toutefois noué d’autres liens: dès le XVIIIe siècle, Mulhouse a besoin d’une main-d’œuvre textile qualifiée plutôt que d’un prolétariat nombreux: dessinateurs, graveurs, imprimeurs, pinceauteuses doivent assurer le succès des toiles peintes; ils viennent de la Porte d’Alsace, de Suisse romande et de Suisse allemande. En dépit d’un freinage officiel de l’immigration à la fin du siècle, les historiens constatent l’intégration de nombreuses familles ouvrières du pays de Montbéliard dans le milieu mulhousien. Il n’est donc pas étonnant que lors de la création des départements, au début de la Révolution française, l’arrondissement de Belfort fasse déjà partie intégrante du Haut-Rhin.

En 1870, le préfet Grosjean s’échappe de Colmar avant l’encerclement de la ville, pour s’établir à Belfort et continuer à diriger sa circonscription. Mais le traité de paix coupe Belfort et 85 autres communes du département du Haut-Rhin; parmi les 191 communes de l’ancien arrondissement, 106 demeurent françaises. De mai 1871 à septembre 1871, on passe de la dénomination d’administrateur provisoire de Belfort à celle d’administrateur du territoire. En 1880, le Territoire devient nom propre.

L’apport alsacien

Les traditions restent vivaces: le courrier continue à être acheminé avec la mention «Haut-Rhin». Entre juin et août 1894, le bureau de poste du faubourg de France à Belfort introduit un cachet «Territoire de Belfort». Si la notion de territoire existe, l’évolution est inachevée, car l’esprit de «revanche» implique un retour ultérieur de ce secteur au Haut-Rhin, après celui de l’Alsace à la France.

En dépit, cependant, du détachement administratif qui est réel, la présence économique alsacienne donne une impulsion décisive à l’industrie belfortaine. La période de transition qui s’instaure permet aux produits alsaciens et lorrains (Alsace et Moselle) d’entrer en franchise dans le Territoire, à charge de réciprocité. Pour éviter les excès, un syndicat de négociants alsaciens et lorrains doit veiller au bon déroulement des opérations. En cas d’impuissance du syndicat, le ministre français des Finances peut supprimer le privilège. L’Allemagne donne son accord, car elle redoute tout autant que la France une concurrence sauvage.

L’annexion accentue toutefois l’établissement d’entreprises alsaciennes sur le versant lorrain des Vosges et la Porte d’Alsace, prolongeant ainsi un phénomène en cours depuis le début du siècle. Pour conserver la clientèle française sans être soumis à la tarification douanière, un certain nombre de membres de familles industrielles alsaciennes s’établissent «à l’ouest de la nouvelle frontière». Le Territoire offre des atouts certains: la proximité facilite les relations entre maisons mères et filiales disséminées de part et d’autre de la frontière; la main-d’œuvre et la force motrice des rivières sont des avantages non négligeables; les axes de communication passent par Belfort: routes, chemins de fer (la ville constitue un nœud ferroviaire) et canal du Rhône-au-Rhin. Le petit bassin charbonnier de Ronchamp est un élément d’attraction supplémentaire, tout autant que les bonnes relations avec le bassin houiller de la Loire.

La ligne ferroviaire Paris-Belfort représente alors un point de fixation pour les principales entreprises alsaciennes qui s’établissent dans le nord-ouest de la ville: Dollfus-Mieg et Cie, la filature Daniel Dollfus, la Société alsacienne de constructions mécaniques (S.A.C.M.). Les vallées de la Rosemontoise et de la Madeleine, riches en énergie hydraulique, en main-d’œuvre et en savoir-faire textile, sont favorables à l’installation de l’entreprise Hartmann de Munster ainsi que de celle des frères Zeller de Sewen et d’Obertruck. L’eau de l’étang des Forges et de son émissaire attire la teinture et l’impression des étoffes de la maison Steiner de Ribeauvillé. L’impulsion donnée par les manufactures alsaciennes crée petit à petit un groupe textile actif au pied des Vosges, un groupe métallurgique dynamique au sud et, au centre, à Belfort même, un complexe à la fois textile et métallurgique, quoique peu dynamique. En un laps de temps très bref – moins de vingt années –, la capacité industrielle belfortaine se conforte sensiblement, sous l’impulsion de la S.A.C.M. qui compte déjà près d’un millier d’ouvriers en 1889.

Vers l’identité belfortaine

La période consécutive à l’apport alsacien confère à Belfort une force de déploiement telle que le Territoire commence à s’installer dans une atmosphère de relative autonomie économique, quoique lié administrativement à la Franche-Comté. Il finit par constituer un pôle industriel très spécifique dans l’Est français. La seule S.A.C.M. emploie en 1922 environ 8 800 ouvriers.

Il n’est pas étonnant que cet arrondissement de cinq cantons, possédant une commission administrative provisoire en guise de conseil général et un administrateur provisoire «du Haut-Rhin» faisant fonction de préfet, se sente mal à l’aise en Franche-Comté dont relèvent la plupart de ses administrations (Vesoul et Besançon). Cette situation bâtarde suscite une sorte de complexe mal supporté par une population soucieuse d’émancipation et d’affirmation de son identité.

Par ailleurs, cependant, le rattachement de Belfort à la Franche-Comté se poursuit de fait: le rectorat, la cour d’appel et l’archevêché de Besançon étendent leur mouvance sur le Territoire; la cour d’assises de Vesoul, la direction des postes de Haute-Saône font de même. Une nouvelle vie s’organise.

La Victoire ne résout pas pour autant la question administrative en 1918. Presque cinquante années de séparation avec le reste du Haut-Rhin ont marqué le Territoire, dont l’évolution fut très différente de celle de l’Alsace. Le particularisme alsacien, les lois locales et le cléricalisme sont incontestablement des facteurs défavorables au rapprochement avec Belfort, qui élit à la Chambre des députés des radicaux nullement prêts à la décentralisation ou aux particularismes. Ces parlementaires vantent «le cadre départemental qui en un siècle a fait l’unité de la France». En 1920, le Petit Belfortain , qui expose les solidarités d’intérêts entre les industriels des deux secteurs géographiques, trouve peu d’échos dans la cité du Lion.

Il est vrai que des tentatives sont faites du côté alsacien pour récupérer le Territoire. Le 2 octobre 1919, la chambre de commerce de Mulhouse invite même celle de Belfort à fêter son retour à la France et à créer la nouvelle région économique (Alsace-Belfort). Des réunions communes tracent un plan de déploiement pour l’Alsace et Belfort: création d’une voie ferroviaire Épinal-Remiremont-Belfort jusqu’au Loetschberg et au Simplon, avec percement du ballon d’Alsace. C’est à cette époque que remonte la création de l’office des transports du Haut-Rhin, destiné à renforcer les articulations entre l’Alsace et Belfort.

En réalité, le Territoire a acquis trop de personnalité pour abandonner celle-ci au profit d’une intégration administrative quelconque; il accepte de nouer des liens interdépartementaux et interrégionaux, puisque les solidarités avec les départements voisins sont nombreuses et évidentes; il refuse néanmoins la tutelle alsacienne et est heureux de profiter du retour de l’Alsace à la France pour secouer celle de la Haute-Saône. En 1922, le Territoire devient un département à part entière. L’évolution est parachevée et Belfort se trouve émancipée.

La dynamique contemporaine

Conforté dans son assise administrative, le territoire-département, avec son unique arrondissement et ses 134 117 habitants (recensement de 1990) occupant 609 kilomètres carrés, se déploie à la fin des années 1980 autour de Peugeot, Alsthom et Bull. Ses 101 communes, réparties en 15 cantons, représentent 3,7 p. 100 de la superficie de la Franche-Comté et 12 p. 100 de sa population. Ce périmètre constitue un bassin d’emploi dont les problèmes s’accumulent: le taux de chômage dépasse 11 p. 100; il est plus important pour les femmes que pour les hommes et particulièrement élevé pour les adultes. Les 47 542 salariés se répartissent à raison de 2,4 p. 100 dans l’agriculture, 38,5 p. 100 dans l’industrie et 59 p. 100 dans le tertiaire. Il convient à présent de moderniser le tissu économique, trop longtemps lié à des pratiques de faible qualification et à des entreprises traditionnelles en mal d’imagination. La diversification des activités, le relèvement de la qualité de l’offre professionnelle, la création de petites et moyennes entreprises performantes sont désormais des impératifs susceptibles de satisfaire les ambitions exprimées par les responsables du Territoire, conscients du rôle spécifique que celui-ci peut assumer dans le nouveau contexte national et international.

L’autoroute et les projets de T.G.V. ont accéléré la vocation européenne de la place, située à un carrefour de communications très utilisé. Le Territoire et le sud de l’Alsace participent toujours davantage à l’expansion de l’aire urbaine polynucléaire qui s’appuie sur le complexe bâlois, sans lequel cet espace transfrontalier n’aurait ni la même vigueur économique ni le même élan social. La diversification continue des activités suscite des complémentarités qui ne cessent de s’affirmer face aux pôles urbains voisins – Besançon, Strasbourg, Zurich. Le désenclavement du Rhin supérieur et, par là même, de la Porte d’Alsace par l’ouverture croissante des cols alpestres au trafic international renforce la cohésion de cet ensemble dynamisé par Bâle.

Aussi s’agit-il pour le Territoire de valoriser pleinement ses atouts en œuvrant dorénavant dans le cadre de l’aire urbaine Belfort-Héricourt-Montbéliard, associant la cité du Lion à une portion du département du Doubs (7 cantons) et à deux cantons de la Haute-Saône. Cet ensemble, appelé Aire urbaine 2000, regroupe plus de 320 000 habitants et forme la quinzième agglomération française, avec 1 372 kilomètres carrés et une densité de 233 habitants par kilomètre carré. Véritable point d’appui méridional de la région créée autour de Bâle, l’Aire urbaine constitue un contrepoids enviable qui s’articule sur la république-canton du Jura suisse; celle-ci vise d’ailleurs à se renforcer face aux imposants centres métropolitains en dehors desquels il est impossible d’exister. Mais l’Aire urbaine reflète également encore un caractère ouvrier très prononcé: 48,1 p. 100 des actifs sont encore marqués par cette appartenance, contre 1,4 p. 100 d’agriculteurs et 50,5 p. 100 de tertiaires. L’enjeu consiste maintenant à faire basculer de façon irréversible cette Aire dans le processus postindustriel à même de participer pleinement aux nouvelles stratégies qui rythment le marché mondial.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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